Le 30 mars 1349, est signé à Romans-sur-Isère (Drôme), un traité entre Humbert II Dauphin de Viennois et le roi de France Philippe VI de Valois.
Le Dauphiné est vendu aux Valois par Humbert, qui n’a plus de descendant mais d’énormes dettes.
Jusque-là, la frontière Est du Royaume de France s’étirait le long du Rhône, remontait la Saône, puis la Meuse et enfin l’Escaut.
Désormais, le Rhône est franchi et le Dauphiné, pourtant terre d’Empire devient français. Enfin pas tout à fait…
Afin de ménager la susceptibilité du dernier Dauphin Viennois de l’ancienne famille de La Tour-du-Pin, ce n’est pas le roi de France Philippe VI de Valois lui-même,
qui prendra possession du Dauphiné ; ni son fils ainé le duc de Normandie, futur roi Jean II le Bon ; mais le petit-fils du roi :
« Charles Monseigneur » ainsi qu’il est appelé alors en 1349. Plus tard, il sera le roi Charles V le Sage.
Le Dauphiné n’est donc pas incorporé au domaine royal.
Le tout jeune et nouveau Dauphin Charles n’a que 11 ans, autant dire qu’il ne gouvernera pas seul le Dauphiné durant de nombreuses années.
Mais peu de temps après les fêtes de Pâques de 1349, Charles quitte Vincennes et sa famille pour descendre en Dauphiné,
prendre part à la cérémonie du « Transport du Dauphiné » et recevoir les allégeances des Dauphinois.
Il s’agit de sa première entrée officielle dans le monde politique de l’époque.
Les armes du Dauphiné sont alors écartelées avec celles des Lys de France, toujours dans le but de ménager Humbert, qui de son côté entre dans les ordres.
Le Dauphiné est alors gouverné par les Valois, mais l’allégeance envers l’Empereur de Saint-Empire Germanique reste de mise.
Le jeune Dauphin Charles, s’en souviendra en 1356, au plus fort de la crise après la terrible bataille de Poitiers durant laquelle son père le roi Jean II est fait prisonnier.
Il viendra à Metz, terre d’Empire, rendre hommage à son suzerain pour le Dauphiné : l’Empereur Charles IV de Luxembourg, qui est d’ailleurs son oncle, dans le but d’obtenir une alliance.
Dès lors, le Dauphiné sera transmis par les rois à leur fils ainé, ou à défaut, à leur successeur.
Nommés « Dauphin de Viennois », puis « Dauphin de France », de nombreux de petits princes, jusqu’à la Révolution Française, porteront ce titre,
parfois dès leur naissance, avant de devenir, pour certains, roi de France.
Dans la suite de cet article, nous reviendrons sur la journée du 16 juillet 1349, où le jeune et nouveau Dauphin Charles reçoit l’investiture du Dauphiné,
dans le couvent des Dominicains de la ville de Lyon :
"Debout sur l’estrade, supportant le lourd manteau brodé de fils d’or aux dauphins azurs, Charles regarde Humbert s’avancer dans la nef,
égayée de toute part des tapisseries colorées aux armes des familles delphinales.
Humbert chemine lentement vers lui, jusque dans le chœur de l’Église Notre Dame de Confort.
Son pas lourd et monotone contraste avec les sonorités du motet chanté par les jeunes moines dominicains aux voix cristallines de cantus.
Les yeux de toute l’assistance sont rivés sur le tout jeune dauphin Charles, qui peut entendre quelques chuchotements de la foule.
L’ensemble de la maison du duc de Normandie est venu assister à la cérémonie et tous les barons et seigneurs du Dauphiné se sont rassemblés autour de leur nouveau dauphin.
Se sachant observé, Charles garde le menton relevé et le corp bien droit et raidi, immobile.
Il peut percevoir les regards du duc de Normandie, son père, aller et venir sur lui et sur Humbert à mesure qu’il se rapproche de l’estrade.
Enfin Humbert s’agenouille sur les premières marches devant le jeune Charles.
Puis il relève la tête et jette ses yeux sur le grand dais brodé aux armes du Dauphiné mêlées de fleurs de lys, au moment de se signer.
L’archevêque de Lyon, Monseigneur Henri de Villard, qui préside à la cérémonie attend le silence des jeunes Frères Prêcheurs terminant leur polyphonie :
« Au nom de Notre Seigneur Jésus Christ Amen. Que tous ceux ici présents et dans l’avenir en l’année de Notre Seigneur 1349,
la convocation du 16 juillet du Pontificat de notre Saint Père le Pape Clément VI la VIIIe année de son pontificat, par devant nous, notaire public,
et témoins ci-dessous nommés, Nobles Hauts et puissants Princes, Messire Humbert, Dauphin de Viennois, prince du Briançonnais, duc de Champsaur,
marquis de Césane, comte de Vienne, d'Albon, de Grésivaudan, d'Embrun et de Gapençais, baron palatin de La Tour, de La Valbonne, de Montauban et
de Mévouillon a transporté par titre de donation irrévocable et solennelle et à perpétuité entre lui et Charles, fils aîné du Duc de Normandie :
le Duché de Viennois, la principauté du Briançonnais, … »
La voix psalmodique de l’archevêque assoupi Charles qui a passé la nuit en prière.
Il ne peut s’empêcher de penser à ses nouveaux barons, se demandant ce qu’ils pensent de lui, de son attitude, de son maintien
et s’ils lui seraient de fidèles et loyaux vassaux.
La matinée se fait chaude et le lourd manteau de velours pèse sur ses frêles épaules.
Son père, les sourcils froncés le fixe durement. Alors Charles tourne légèrement la tête vers Landas et ses amis Dammartin et Étampes,
dont le soutien sans faille ragaillardit Charles.
« … et transporta encore au dit Charles et à ses héritiers directs successeurs et ceux qui auront pour motif de lui donner à perpétuité son héritage
en saisine et en propriété pleine le dit Dauphiné et toutes les autres terres susnommées et en signe de dite saisine donne au dit Charles, l’épée ancienne du Dauphiné… ».
À cet instant, Humbert défouraille son épée en s’avançant vers Charles.
Il s’agenouille devant lui et tend son épée au-dessus de sa tête. Charles contemple cette célèbre épée dont le pommeau est incrusté du bois de la Vrai Croix du Christ.
Son cœur bat fort dans sa poitrine lorsque prenant l’épée et la levant au-dessus de sa propre tête il l’enfourne à son tour à sa ceinture dans un bruissement métallique
qui résonne dans le chœur de l’église.
Puis Humbert retire de son doigt un gros anneau d’or serti d’un saphir ovoïde et le tend à Charles en baissant la tête.
Charles a bien du mal à retenir complètement l’anneau autour de son doigt trop mince.
Enfin, l’évêque se tourne vers le grand prieur dominicain qui apporte un coussin sur lequel Humbert dépose le sceptre du Dauphiné et termine en remettant
la Bannière de Saint-Georges éclaboussée du sang du dragon.
L’évêque de Grenoble, Jehan de Chissé, s’approche alors du jeune dauphin Charles qui s’agenouille à ses pieds.
Plaçant ses mains entre celles de l’évêque, Charles jure de respecter les statuts solennels et les franchises du Dauphiné nouvellement accordés par Humbert.
Aucun mot, appris par cœur ces derniers jours de chevauchée, n’est oublié. Sa voix n’est pas hésitante. Son élocution est parfaite et ne manque pas d’impressionner.
Puis, il se signe et se relève.
Le doux cantus des moines rejaillit sous les voutes vibrantes de l’église, tandis que l’évêque et Humbert, les larmes aux yeux rougis, s’éloignent de l’estrade.
Il n’est plus le Dauphin de Viennois.
Un à un, ses vassaux s’avancent pour venir prêter serment au nouveau dauphin.
Puis, Charles reste seul sur l’estrade et de toute la majesté qu’il peut prétendre du haut de ses onze ans, contemple l’assistance.
Jusqu’alors, il n’était que Charles Monseigneur, fils ainé et inconnu du duc de Normandie et petit-fils du roi de France.
Dorénavant, il est le seul et unique Dauphin de Viennois, possède ses propres terres, son armée et aura sa cour juste pour lui.
Bientôt, il fera venir sa chère Jeanne pour en faire sa Dauphine".
Aurélie Anne Brière Seveau, Le Roman de la Guerre de Cent Ans.
Lectures ayant aidé à l'écriture de cet article :
- AUTRAND Françoise, Charles V, 1994, Fayard.
- BORDONOVE Georges, Charles V, 2012, Pygmalion.
- BORDONOVE Georges, Jean II, 2010, Pygmalion.
- DEVIOSSE Jean, Jean Le Bon, 1985, Fayard.
- GOBRY Ivan, Philippe VI, 2011, Pygmalion.
- SARINDAR-FONTAINE François, Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent, 2019, L'Harmattan.
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